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Dans l’article précédent, dédié à l’analyse des croyances religieuses d’Orelsan, nous relevions que c’était l’agnosticisme qui rejoignait le plus les convictions du rappeur. Mais une autre question traverse ses quatre albums, si Dieu n’existe pas, qui va sauver l’humanité ? Car il ressort véritablement des textes du rappeur, un besoin d’être sauvé. Et cela est de plus en plus présent au fil de son œuvre.
Le sauveur peut prendre différentes formes, il commence par être l’artiste lui-même, dans « Elle viendra quand même » (Le Chant des Sirènes, 2011) que nous citions dans le précédent article, il dit:
« Avant de partir on me demandera des comptes/J'prépare la réponse/J'répare mes tuiles avant que le toit ne s'effondre ».
La demande ne vient pas d’un Dieu jugeant, mais les comptes qu’il aurait à rendre seraient demandés avant même sa mort. Mais qui alors lui demande des justifications sur sa vie ? En observant des textes plus récents, on peut comprendre qu’il s’agit de l’humanité, des conséquences que ses actions laisseront pour le futur. En tous les cas, la figure du sauveur n’est ici autre que lui-même.
Dans « Athéna » (Civilisation, 2021), c’est sa femme qui fait figure de sauveuse,
« T’arrives à m’rassurer quand j’ai peu de la mort ».
En comparant sa femme à la déesse grecque, il induit un rapprochement avec les deux figures d’Athéna : d’une part la figure maternelle, la déesse de la sagesse, l’aspect protecteur et bienveillant, un aspect de providence, de quelqu’un qui veille sur nous. D’autre part, la combativité, l’amour fort, une femme capable de traverser les épreuves à ses côtés, le rappeur annonce :
« Tu protèges et guide mes pas ».
L’amour et la protection donc, caractéristiques qui peuvent être attribués au Dieu trinitaire par les chrétiens, sont ici attribuées à sa femme.
Enfin, c’est dans le morceau « Civilisation » de l’album du même nom (2021) que la dernière figure du sauveur apparaît. Elle reprend celle évoquée dans « Elle viendra quand même », c’est-à-dire l’artiste lui-même pour sa propre vie. Mais elle englobe maintenant tous ceux qui l’écoutent, ses fans. Il n’est plus question de sauver une individualité, mais cette fois, il faut sauver la civilisation humaine. Il débute par un constat
« Jsais pas comment sauver l’monde/ Et si j’savais j’suis pas sûr qu’j’le ferai ».
Revient ensuite sur ses premières certitudes :
« J’pensais qu’la science allait nous sauver/Mais j’ai d’moins en moins confiance au progrès ».
Et puisqu’il ne croit ni en Dieu, ni désormais à la science, c’est en l’humanité qu’il place sa confiance, en la bonne volonté des gens.
« Aide moi, marche, marche avec moi, apprends-moi […] j’peux pas l’faire tout seul faut qu’ tu m’aides ».
« Apprends-moi l’pardon la patience/Faut qu‘on soit meilleurs qu’nos parents/Faut qu’on apprenne à désapprendre ».
« J’essaye d’avoir une civilisation/J’peux pas l’faire tout seul va falloir qu’on l’fasse ensemble/ Tout s’transforme rien n’se perd/J’ai pas fait qu’des choses dont j’suis fier, j’peux devenir meilleur, J’peux pas revenir en arrière ».
Orelsan incarne un paradoxe intéressant. Sa vision de l’impact de l’humanité sur son environnement et sur elle-même est globalement décrit comme négatif. En revanche, d’après ses derniers textes, il semble considérer qu’en réalité, l’humanité est la seule capable de sauver… L’humanité. Orelsan pose constamment la question de l’avenir de l’humanité (qu’il s’agisse d’un avenir à l’échelle individuelle ou planétaire). Il invite également ses fans à se positionner sur ce sujet lorsqu’il lance un appel :
« Jpeux pas l’faire tout seul faut que tu m’aides ».
Alors que nous achevons notre exploration de la vision spirituelle d’Orelsan à travers les indices qu’il nous laisse dans nombre de ses textes, une question se pose : s’il est un bon représentant de la classe moyenne, est-ce que ses préoccupations et ses réponses représentent bien nos croyances personnelles ? En fouillant dans ses rimes, nous nous confrontons à un artiste d’arrière-plan religieux ne s’étant jamais approprié une foi restée alors comme un élément purement culturel. Mais un auteur évoquant ses doutes et angoisses existentielles qui, sans nul doute, rejoignent une expérience commune à beaucoup.
À travers ses chansons, il soulève des interrogations profondes sur la nature de l’existence et la quête de sens, invitant ses auditeurs à réfléchir par eux-mêmes :
- à l’impact de leur arrière-plan culturel sur leurs croyances,
- à l’identité de Dieu comme être de jugement ou de réconfort,
- et sur ce besoin de sauveur comme une nécessité commune : à attribuer à qui ?
Orelsan, en conclusion de son rap « Freestyle Radio Phoenix » dans le film de sa réalisation Comment c’est loin (2015) - et c’est aussi ainsi que nous conclurons nos réflexions – lance un
« On fait passer ton groupe hardcore pour un groupe de rap chrétien ! ».
Par là, il indique que son freestyle prend la place des morceaux auparavant considérés comme hardcore, pour les déplacer sur le curseur, les faire sortir de cette zone et sonner comme un groupe de rap chrétien. Par opposition au hardcore, le rap chrétien est utilisé ici comme synonyme d’une musique que l’on pourrait qualifier de gentille, aimable et peut-être même d’amour.
Ce dernier titre montrerait-il finalement la vision qu’Orelsan a des chrétiens et donc de Jésus ? Ce même Jésus qui, lorsqu’il se définissait disait de lui qu’il était « doux et humble de cœur » (Matthieu 11 :29). Dans ce même verset, Jésus indique qu’en le suivant, nous trouverons le « repos pour notre âme ».
Il offre ainsi une réponse aux questions existentielles d’Orelsan. Bien que le rappeur semble avoir choisi d'autres chemins, il nous invite à réfléchir à la complexité de sa spiritualité, pleine de paradoxes et de contradictions, qui nous ramène à nos propres interrogations.
Alors, sommes-nous tous « perdus d’avance » ?